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mardi 19 juillet 2011

D'un battement l'autre

Il m'est intéressant de constater que les commentaires les plus passionnés que je reçois cette année de la part du public qui assiste aux concerts à l'Amphithéâtre ne concernent non pas la présence nouvelle des écrans mais plutôt ces applaudissements qui viennent - selon les commentaires, s'entend - malproprement interrompre le silence intervenant naturellement entre les mouvements d'une symphonie, d'un concerto. "Vous devriez interdire cela!", dit une dame avec une virulence que j'aurais cru réservée à des sujets autrement moins légers. "Vous devriez expliquer aux gens pourquoi il ne faut pas applaudir entre les mouvements", me dit une autre, plus conciliante et prête à pardonner l'offense.

De toute évidence la chose est sensible. Épidermique. Je suis naïf: je n'aurais jamais cru le rituel aussi sacralisé, mais plutôt son abandon progressif accueilli, même parmi les plus fervents de l'assemblée, avec résignation, certes, mais également ce léger soulagement lié à la permissivité nouvelle de laisser manifester ses instincts de plus bas niveau: j'aime, j'applaudis.

Ou alors cette nostalgie, vaguement sentimentale, qui nous passe à fleur d'âme quand on se rend compte que oui, vrai, les temps changent. Après tout, on transforme bien les églises en condos, et voilà qui n'a jamais enlevé à un croyant sa foi.

"Et vous, Monsieur Benjamin, qu'en pensez-vous?" Ah la la, Madame, si vous saviez! Moi, les choses simples de l'existence, style ce que diantre peut bien faire si majeur dans le premier mouvement d'une Hammerklavier pourtant en si bémol ou pourquoi le développement thématique est ce qu'il y a de moins intéressant à examiner dans la sonate de Liszt, ça, n'importe quand. Mais là, Madame, vous m'obligez à verser dans l'ambiguïté et, mes amis vous le diront, l'ambiguïté est de tous mes traits de caractère le plus exaspérant.

Et, hélas, le plus dominant, ce qui me rend parfois d'une amitié exaspérante.

Je répondrais donc: ça dépend. Parfois oui, parfois non. Tantôt j'ai la foi, tantôt suis athée. Païen, même, dans mes moments de grand abandon. Tenez, je vais vous faire un aveu: lors du derniers Concours international de musique de Montréal, à l'approche des dernières mesures du concerto de Tchaïkovski, joué avec fougue par Mademoiselle Beatrice Rana, je me suis mis, dans le feu de cette action, à souhaiter ardemment que la foule explose, qu'une forme de joie éruptive vienne répondre à l'extraordinaire énergie musicale relâchée par la pianiste, le chef et l'orchestre. Et ce fut le cas, et je vous jure que de tous les bravos, les miens furent parmi les plus sonores. Là, je me suis senti très dix-neuvième siècle.

Tchaïkovski, j'en suis sûr, aurait applaudi, lui aussi. "Wow!, qu'il se serait dit, j'étais vraiment hot ce jour-là!" Même qu'il se serait levé et aurait crié: "Encore, encore! Je veux réentendre! La cadence, Mademoiselle, vous la jouez si bien!"

Mais bon, ça c'est Tchaïkovski. Sympathique bonhomme, mais un égo pas possible. Un Dvorak, plus modeste, aurait-il demandé à ce que soit bissé le Largo de sa "Nouveau Monde"? Si l'interprétation l'avait ému aux larmes - ce à quoi toute interprétation de ce troublant morceau se doit de viser -, sans doute. Et au personnage à ses côtés l'intimant de cesser ses bravi, je ne doute une seconde qu'il aurait répondu: "Monsieur, un Scherzo, ça peut toujours attendre!"

Ailleurs, par contre, je ne joue plus. La Mer de Debussy, on y pense même pas. Dans une symphonie de Brahms, c'est franchement inconvenant. Beethoven? Parfois oui, parfois non. Chostakovitch? Encore faudrait-il savoir s'il ne nous dit pas le contraire de ce qu'il semble nous dire tant il serait malséant de faire preuve de joie suite à une démonstration ironique et brutale des dérives de l'humain.

Mendelssohn? Fréquemment, surtout parce qu'on oublie chaque fois à quel point c'est beau et qu'il est de ceux à qui on a envie de dire merci. Schumann? Presque jamais, sauf à la fin du premier mouvement du concerto pour piano parce que ça lui ferait tant plaisir après tout ce qu'il a vécu, le pauvre. Bach? Tentant par moments, mais après chaque air dans la Passion selon saint Matthieu, si merveilleusement chanté qu'il soit, on n'en sortirait pas, et j'en connais qui, n'en pouvant plus de la lenteur de l'agonie, demanderait qu'on passe à la crucifixion dès l'entracte.

Il n'y a au fond qu'avec Hindemith où je jouis enfin d'une certaine certitude: je n'applaudis jamais, ni avant, ni pendant, ni après. Parce que cette musique m'échappe totalement.

Mais ça, c'est mon problème.

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